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Hommage à Roger, mon instituteur

En ces jours de deuil mais aussi d'hommages à un professeur de collège, à l'école de la République elle-même, je repense à mon instituteur de village qui m'a enseigné les rudiments du savoir, du cours élémentaire au cours moyen 1ère année (classe unique à cette époque conduisant au certificat d'études). Roger Chassonaud a poussé la performance jusqu'à mourir quelques semaines avant ses 100 ans.

Je garde quelques souvenirs de l'école; selon Roger j'étais très bon en orthographe et grammaire. Il me le rappelait à 99 ans!

Par contre le calcul... mais Roger lui-même n'était pas doué en cette matière disait-il. Et dire qu'à plus de soixante dix ans j'ai dû passer des tests de calcul mental dans un centre de gérontologie parisien pour rassurer mon entourage sur ma santé cérébrale!

J'ai retrouvé Roger tout au long de ma vie : à Cognac notamment dans les années 60 où le sort m'a nommé et où il coulait des jours heureux avec son épouse, lui directeur d'école en retraite, elle directrice d'école en retraite. De curieux cousinages entremêlés nous réunissaient, ma femme, moi et eux dans de fréquents apéros au whisky (quelle hérésie pour des cognaçais) ainsi que des parties de campagne chez des cousins à moi.

Mais revenons à Roger : il avait connu deux guerres; il avait subi le typhus exanthématique dont il parlait comme d'un fait d'arme, il n'en était pas mort; il avait été communiste en bon hussard de la République, ce qui ne l'empêchait pas de "prêter" un ou deux élèves au curé de la paroisse pour servir un enterrement (je n'aimais pas les enterrements, mais la récréation qu'ils procuraient, si!); je me souviens qu'aux beaux jours j'étais chargé par mes camarades de suggérer à Roger une "classe de forêt", il n'aimait pas trop mais parfois il cédait. Une magnifique forêt bordait le village, elle appartenait aux châtelains, les patrons de ma mère.

Du communisme, Roger était passé à une vague croyance mêlée d'animisme et... d'anticléricalisme (son cousin cognaçais étant néanmoins membre du clergé!).

Roger avait une haute idée de la laïcité jusqu'à de curieux scrupules. Je me souviens qu'au moment où nous abordions en histoire l'empereur Charlemagne, j'avais voulu faire état de mes connaissances littéraires en levant le doigt et en disant : "Charlemagne a été couronné empereur par le Pape en 800"; et mes camarades de rire : "Mais non, il n'y avait pas de Pape à cette époque". J'espérais un démenti de Roger, mais il est resté de marbre et silencieux. On ne parle pas de Pape à l'école communale!

Il nous enseignait la morale par des sentences qu'il écrivait sur le tableau noir le matin. J'ai gardé le souvenir de l'une d'entre elles - une seule ! - "Le drapeau passe, chapeau bas!"

Il avait néanmoins un défaut : il aimait trop les femmes... Les mères d'élèves, dont ma mère,  n'osaient pas le rencontrer seules. Après la mort de sa femme, l'aide-ménagère envoyée par mes cousins a tenu quelques jours, pas plus! Il aimait beaucoup Maudy mon épouse, mais avec respect. Il a connu nos enfants (son couple n'en avait pas). Nous nous efforcions, Maudy et moi de leur cacher les bonbons que sa femme et lui leur donnaient (mais nous repartions à Paris avec la bouteille de whisky qu'il ne manquait pas de nous confier!)

Roger avait beaucoup de respect pour les autres, en particulier les moins considérés. Je me souviens qu'il avait, derrière sa porte d'entrée, sur une boîte à clefs, des pièces pour donner en pourboire aux livreurs ou facteurs, et pour l'époque, ce n'étaient pas ce que nous appelons des pièces jaunes. De même au restaurant où il aimait nous inviter.

Roger n'a jamais voulu fréquenter les châtelains du village, réflexe d'ancien communiste ? Le curé, il le respectait sans plus et ce dernier faisait de même, le "prêt" d'enfants de choeur en témoigne. Encore une anecdote : ce curé de notre village fut nommé dans une paroisse à quelques kilomètres de Cognac. Roger l'invita une fois ou l'autre, par politesse, mais sans plus.

Il est mort presque centenaire; son cousin prêtre a célébré la messe; nous n'avons pu être présents dans son petit village natal à proximité de la Charente.

Je pense qu'il aurait aimé apprendre que j'avais obtenu mon doctorat  et qu'il en aurait été fier; de la grammaire aux "Lettres", un fil rouge ? Merci Roger!

 

Alain Piot, docteur de Paris-Sorbonne, Paris IV

 



23/10/2020
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