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Parentalité


RÉFLEXIONS SUR LA PROCRÉATION

 

 

Comme tous les couples – ou la plupart – nous avions Maudy et moi (dans les années 70) en guise d’horizon la venue d’enfants. Pas tout de suite… pas pressés… jusqu’à ce que l’âge progressant nous nous sommes dit un beau jour ; « On va en faire un (ou une) ». Pas de problème de mode d’emploi, on s’y met, vous allez voir ce que vous allez voir !

Oui, mais… l’ « heureux évènement » tarde un peu, beaucoup même ! angoisse chaque mois : les règles, c’est quand en principe ? vont-elles arriver cette fois, ou bien pas ? Ce serait tellement mieux qu’elles oublient la date ! Et l’on se promène avec un calendrier… Je me souviens d’avoir emporté ce fichu calendrier avec Maudy dans les dunes du Sahara oriental, mais toujours sans succès !

 

A cette époque  on ne parlait guère de PMA, de FIV et autres balivernes ! Des méthodes élémentaires, sans grands résultats. Et ces soupirs, ces regards en coin, ces chuchotements « C’est qui ? C’est elle ? C’est moi ? » et un coup d’œil sur le couple d’amis qui en est au même point que nous ! « Tu crois que c’est lui ? Moi je dirais plutôt elle ! » Et ces examens dans l’arrière-boutique du gynécologue, presque honteux… Un beau jour on y était presque : ces maudites règles n’étaient pas au rendez-vous. On y a cru… quelques jours… seulement.

Et il faut compter les spermatozoïdes, et il faut surveiller le corps jaune qui favorise la nidification de l’œuf et ceci, et cela. On n’en finit plus !

 

Et puis un jour on s’assied, épaule contre épaule et on se dit : « Et si on adoptait ? » Oui, pourquoi pas ? Comment s’y prendre ? Il y en a qui partent à l’étranger et qui reviennent avec un bébé ! Mais il y a une petite gêne, et ça s’appelle l’argent. Cette impression d’acheter un enfant au lieu de le faire. On explore quand même la piste et ce qu’on découvre n’est pas encourageant. On a l’impression que certain.e.s, des associations entre autres, font là un commerce douteux, d’autres diraient « juteux ». Tournons-nous vers la Direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS) du domaine de la santé publique. On nous prévient : c’est long, aussi long que le titre de l’institution ! Il faut suivre le chemin bureaucratique et attendre, attendre. Deux ans ? Trois ans ? Plus ? Attendre, on sait ce que c’est, alors…

 

Mais c’est sans compter sur le hasard. Nous avons un ami qui est suppléant d’une députée. Mais cette députée est nommée ministre .  Du coup notre ami devient député à sa place. Et cet ami-nouveau-député avait adopté avec sa femme un garçon. Du coup on échange nos expériences. Mais bien entendu on attend, on attend. Un avantage cependant : notre demande est passée en haut de la pile !

Et il faut nous plier à une obligation invraisemblable : la visite de la représentante de la DDASS, une assistante sociale,  pour vérifier notre capacité à accueillir un enfant. Imaginez ce genre d’enquête (et d’exercice) s’il était fait pour chaque femme enceinte ! L’enquête de la dame a duré… 5 heures à notre domicile ! Elle a ouvert tous les placards de la maison, contrôlé chaque millimètre de notre appartement ! Un point nous inquiétait : Maudy perdait la vue. Evidemment une malvoyante – ou une aveugle – peut être mère non ? Peut-être pas pour l’Administration. Nous nous étions répartis les rôles : Maudy entretenait la conversation tandis que j’abreuvais de café ou de thé, je ne m’en souviens plus, la brave dame entre deux placards.  Et je nous revois, Maudy et moi, après 5 heures d’enquête – « au revoir chère Madame » - écroulés dans les fauteuils les plus proches, avec une envie de… hurler ? un mélange de colère et de satisfaction. Tout s’est bien passé. Et il faut attendre... attendre... combien de temps ? même  le bon dieu n’en savait rien (ou il n’a rien dit).

Et voilà que très précisément 9 mois après l’enquête des placards, un 17 décembre 1979, coup de fil anonyme : « Vous avez un petit garçon, venez le chercher demain à telle adresse ».

C’est alors que se déclenche dans la maison - où viennent d’arriver des amis lyonnais - une tornade à déraciner les balcons ! Maudy garde son calme. Pour ma part je perds le Nord. Nous réussissons quand même à obtenir de voir le « petit garçon » avant de l’installer dans notre foyer. Il faut quand même l’installer dans un lit, il faut tout de même l’habiller chaudement (en décembre…), il faut tout de même le nourrir etc. Je cours acheter le nécessaire du côté de la place de la Nation ; j’achète trop grand bien sûr, incapable d’imaginer les mensurations d’un bébé de six mois (sans l’avoir vu). Nous le voyons enfin dans la pouponnière du 14ème. Petit enfant au regard triste… Et nous prenons rendez-vous pour le lendemains afin de l’emmener chez nous, chez lui. Et moi je me retrouve subitement avec 40° de fièvre – allez savoir pourquoi ? Enfin, nous sommes quatre pour nous occuper de ce bébé pas encore nommé ! dont deux amis avec expérience, heureusement. Le prénom viendra progressivement. On est près de Noël. Petit à petit émerge « Manoël ». Pourquoi pas ? c’est acquis ! Il faudra attendre (encore !) pour voir un sourire fleurir sur les joues de notre bébé. Attendre plusieurs semaines, jusqu’à un voyage à Fenouillet (Pyrénées Orientales)  où un voisin, « Papy », obtiendra un rire véritable, au soleil catalan.

Notre apprentissage étant fait, nous n’avons pas attendu pour demander un deuxième rejeton (« une fille de préférence ») à la DDASS. Enregistré. Mais il vous faut attendre ! Tiens ! on sait ! L’enquête de la dame de la DDASS de nouveau… Mais nous étions rôdés. Le café a coulé à flot mais elle n’était pas trop curieuse. Nous étions donc prêts à attendre. Notre premier bébé nous occupait déjà beaucoup.

Attendre, mais combien de temps ?

 

Réponse : 11 mois et 20 jours !

Même scénario : «Allo ! Vous avez une petite fille, venez la chercher demain. » Même réponse : « On voudrait bien la voir avant, on ne s’y attendait pas si rapidement ! » Et le lendemain nous allions voir un bébé souriant, accueillant, et le soir même nous avons fêté cette arrivée ainsi que… l’élection de François Mitterand à la présidence de la République, le 10 mai 1981,  avec l’un de nos meilleurs amis. Et la petite fille prenait place dès le lendemain dans notre home, sweet home !

Nous n’avions pas de prénom en réserve, mais un livre répertoire où chercher notre préféré. C’est très rapidement que Maudy et moi sommes tombés d’accord pour Joanna (sans H !). Comme pour son frère, adoubement au soleil catalan de Fenouillet. Et curieusement, le couple d’amis qui ne parvenait pas à faire un bébé en a fait un, instantanément !

 

A l’époque dont je vous parle, il n’était pas question de ce qu’on appelle maintenant la G.P.A., ou : Gestation Pour Autrui. Difficile de définir la chose en quelques mots ! tant il y a de variantes dans ce qui est une forme de P.M.A.. Je me contente de de cette définition : « technique de procréation médicalement assistée. Elle consiste à implanter un embryon, issu d'une fécondation in vitro (FIV) ou d'une insémination, dans l'utérus d'une mère porteuse qui remettra le bébé à un couple demandeur à sa naissance ». 

Il y a donc avant tout une femme qui « loue » son utérus à un couple – ou à un individu – (hétérosexuel ou homosexuel) pour mener à bien une gestation dont elle ne sera pas la mère puisqu’elle donnera l’enfant à – faut-il dire ? – « des clients » qui en deviendront les parents. Tout se complique évidemment dès qu’apparaît l’argent. La mère porteuse pouvant être ou non rémunérée (elle l’est le plus souvent), simplement défrayée, totalement bénévole etc. La G.P.A. n’est pas admise en France, mais 4 pays au moins l’acceptent en Europe.

Est-ce très différent de l’adoption ? Oui ! avons-nous crié en découvrant – tardivement - la G.P.A. ! Mais en quoi ? Dans le cas de l’adoption, il y a un enfant né de parents qui n’ont pas voulu être parents, (pour des raisons multiples), plus particulièrement d’une mère qui, à la naissance d’un enfant, a déclaré ne pas vouloir être mère – que ce soit de son propre chef, ou sous la pression d’autre.s individu.s - (ce qu’on appelle une « naissance « sous x ») ; ou bien qui après la naissance de son enfant ne veut pas le considérer comme son fils ou sa fille et l’ « abandonne ». Dans les deux cas il y a le déni – ou le refus – de la maternité. Cet enfant qui est sorti de mon ventre, je ne veux pas qu’il me fasse mère (ou parents).

Je laisse de côté aussi bien les qualifications morales qui entourent l’évènement, que les qualifications juridiques.

Et nous, qui ne pouvons être parents, allons prendre cet enfant pour qu’il soit nôtre. Pour que le déni ou le refus de la parentalité soit abrogé par cet acte d’adoption. L’enfant adopté prendra le nom de l’adoptant. Bien plus, le registre des naissances effacera la trace de l’acte d’une « vraie » naissance qu’on dira « biologique, au profit d’une « fausse »  naissance. L’enfant pourra dire : « Mais c’est un mensonge ce qu’ils ont écrit là ! » Ou, comme l’a dit l’un de nos enfants à Maudy : « Je veux rentrer dans ton ventre pour en ressortir ! » Et c’est bien là que tout se joue : « Je suis né.e sans passer par ton ventre, même si je t’appelle Maman ».

 

Mais alors, Adoption, G.P.A., tout est affaire de ventre ? Adoption… d’un enfant rejeté d’un ventre de femme, ventre nié, enfant nié ? Recherche d’un ventre à louer à la place du mien ? G.P.A. ? Ventre nié lorsqu’il aura servi ?

 

Allons-nous dire qu’adoption et G.P.A. sont une même démarche, ou une même aventure ? C’est ce que disent certains. Apparemment oui : nous faisons « nôtre » un enfant qui a été conçu, fabriqué par deux autres qui, soit n’en veulent pas ou plus, tous deux ou l’une ou l’un… ou ne peuvent pas le vouloir pour une raison que nous ne connaissons pas (pauvreté, guerre, religion, morale absurde, que sais-je – je n’ai pas à en juger).

La G.P.A. n’est pas la même démarche : l’enfant conçu par les gamètes des uns ou des autres (toutes les combinaisons sont possibles) est installé dans le ventre d’une femme pour 9 mois qui ne sera pas, qui n’est déjà pas SA mère. Mais qui fera tout ce qu’il faut « comme une mère ». Tout ? Non. Pas comme une mère, comme un « ventre » !

La G.P.A. c’est une femme réduite à son ventre, c’est un ventre prêté, loué, vendu pour une durée limitée, révocable selon les cas.

 

La Presse :

  • En 1988, la Cour suprême du New Jerseya dû trancher l'affaire bébé M: la mère porteuse avait alors refusé de remettre son bébé au père biologique et à sa femme. Finalement, le père biologique et sa femme ont obtenu la garde de l'enfant, mais la mère porteuse a obtenu un droit de visite ![1] 
  • La Philosophe Sylviane Agacinski, par exemple, voit dans la GPA "une forme inédite d'esclavage" qui "s'approprie l'usage des organes d'une femme et le fruit de cet usage"[2].
  • « Quid des conséquences de la rupture originelle entre l’enfant et celle qui l’a porté ? Elles seront potentiellement « dévastatrices »,a prévenu le professeur René Frydman, indigné par la GPA »[3].

L’Ukraine est connue pour être un haut lieu du marché de la GPA. Si aucun chiffre officiel n’existe, les professionnels estiment que près de 2 500 bébés naissent par ce biais chaque année. (La Croix 12/05/2022).

 

S’il est un mot qui revient à chaque commentaire, c’est celui de « complexité » : « complexité biologique », « complexité juridique » « complexité éthique », « complexité psychique », « complexité internationale » etc. et il est évident que s’il existe des lois et des règles propres à une multitude de pays, changeantes au gré du temps, la réalité cachée des pratiques, comme des organisations mafieuses, ont construit des zones de non-droit un peu partout dans le monde, en priorité là où la pauvreté fait loi.

Oui, la G.P.A. c’est une femme, réduite à son ventre. Nous n’avons pas fini d’en débattre, et il le faut !

 

 

[1] « Baby M », Wikipedia.

[2] L’homme désincarné. Du corps charnel au corps fabriqué, Gallimard, coll. Tracts, 2019

 

[3] Obstétricien, gynécologue des hôpitaux de Paris et professeur des universités françaises.. Il est celui qui a permis la naissance du premier « bébé éprouvette ».

 


14/05/2022
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