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Politique de santé


Le songe de douze nuits d’été

Tout commence à la renverse ! le 22 avril 2022, j’apprends que je suis positif au Covid. J’avais côtoyé une personne positive et hop ! à mon tour, malgré 3 vaccinations. De quoi tomber à la renverse. Et c’est littéralement ce qui m’est arrivé. J’ai perdu réellement l’équilibre dans la soirée, je suis tombé à la renverse dans mon séjour, sans casse, mais dans l’impossibilité de bouger, de me relever. Mon téléphone était parti loin de moi, je ne savais pas me servir de ma montre-alarme. Je ne sais pas si vous avez vécu cette situation : rester à terre (enfin c’est du parquet chez moi, mais c’est dur !) pendant toute une nuit et une grande partie de la matinée suivante. En tombant, j’avais désossé un petit meuble et l’un des pieds était gentiment demeuré sous mon dos.

 

Je ne vais pas raconter ici comment j’ai été découvert par une amie s’occupant de mon chien Igloo dans des circonstances ahurissantes : ma porte était grande ouverte : pourquoi ? Comment ? Par qui ? Encore fallait-il entrer dans l’immeuble ! Voilà, c’est fait… Une autre amie (de moi et de mon chien) a suggéré un roman policier que je vous raconterai plus tard.

 

On m’entoure, sans oser me bouger ; je pèse 90 kgs selon le CR d’hospitalisation. Naturellement, c’est moi qui l’ai avoué. Ce qui n’a pas empêché un connaisseur hospitalier d’écrire sur mon bulletin de sortie qu’entré avec 90 kilos,  je pesais 36 kgs le 2 mai   (Ah le joli mois de mai !) à ma sortie, soit, si je compte bien, avec 54 kgs en moins en douze jours. Plus performant que les régimes « kiloentrop» de la télé !

Je relis avec une vague nostalgie l’exposé de mon histoire sanitaire depuis mon appendicite adolescente jusqu’à mes deux AVC octogénaires. Pas de surprise : c’est moi qui ai tout avoué (avec quelques hésitations). Je sais que j’ai un chien et un chat, que je vis seul, hélas, que j’ai fumé autrefois, sevré à 55 ans. On a évité : lait maternel, sevré à 2 ans, un record ! etc.

Mes amis ont appelé les pompiers qui m’ont proposé un choix entre Pompidou et Cochin. Je connais les deux hôpitaux, j’ai refusé Pompidou – pas pour des raisons politiques – mais à cause de mauvais souvenirs me concernant et concernant ma femme également. Cochin ? J’y ai subi une opération il y a quelques années et j’en étais content. J’aurais dû me méfier.

 

Arrivée aux urgences ; enfin : « comment se hâter lentement ». Un long inventaire de ce que je possédais sur moi, des quelques billets de banque, en passant par mon chargeur de téléphone… J’étais toujours en pyjama.

Quelques examens d’imagerie médicale. – il faut recommencer, on a été trop vite -  Et on passe rapidement à « Dormez braves gens ». Mais avant le sommeil, une petite note d’humour (la seule je crois en 12 jours). J’ai une mémoire à trous. Et impossible de me souvenir du nom de l’hôpital. J’ai même donné à des amis celui d’un autre centre hospitalier ! J’explique cela à un aide-soignant qui me roule en fauteuil d’un service à l’autre. Il se prénomme je crois Mouloud. Il me dit « C’est facile. Pour retenir le nom de l’hôpital, pense ‘Cochon’. Ensuite, Cochon – Cochin – Hôpital Cochin »  ! Je n’ai pas cherché à connaître la religion de Mouloud…

Première nuit. Aux urgences je voisine avec quelqu’un que je ne vois pas car il est derrière un rideau. Mais voilà ! on a oublié de me donner un instrument important dans ce milieu : un « pistolet ». N’allez pas suspecter une quelconque volonté de me supprimer, le « pistolet » sert aux messieurs à faire pipi quand ils ne peuvent se déplacer. Je m’en aperçois au cours de la nuit, au moment fatidique. Pas de sonnette non plus. J’entends des voix dans le lointain. J’appelle, j’appelle, j’appelle… sans résultat. Ou plutôt, je me vois obligé de censurer le résultat.

 

Le lendemain, 24 avril, on a trouvé une chambre de libre dans le service de pneumologie et on m’y transfère ! Très belle chambre avec dépendances : douche et WC. Le lit ? un peu petit pour ma taille. Je me souviens toujours de ce que l’on raconte à propos du général de Gaulle qui, dans ses déplacements, ne trouvait jamais de lit à sa taille ! Mais voilà, je suis rentré dans le système hospitalier et je dois y rester.

J’apprends - par hasard -  que non seulement j’ai hérité du Covid (SARS-COV-2) mais aussi de la grippe (Influenza A oxygénorequerente). Bien entendu je suis vacciné contre le Covid et contre la grippe; J’apprends (après coup) que je suis dans l’unité d’hospitalisation Jacques Chrétien; j’ai appris depuis que Jacques Chrétien, de 2 ans mon aîné, phtisiologue connu pour sa grande gentillesse, charentais (c’est normal !), ancien de la guerre d’Algérie – comme moi – Mais je l’ai su trop tard !

Cette unité est dirigé par une docteure et un professeur, comporte 5 assistants chefs de clinique, 10 praticiens hospitaliers à plein temps, 1 chef de service , 5 professeurs, tout un beau monde que j’ai peut-être aperçu mais je n’en ai aucun souvenir, sinon 2 ou 3 assistantes, et, j’allais oublier, une assistante sociale invisible. Je ne saurai rien de ma pathologie au cours des 12 jours et nuits passés à Cochin. Même pas en disant au revoir.

 

Je ne suis pas journaliste ; je ne suis pas expert en je ne sais quelle spécialité covido-compatible ; je veux simplement témoigner de quelques jours passés dans un établissement de l’Assistance Publique Hôpitaux de Paris (APHP) d’un seul point de vue : le mien… et donc diront les journalistes et les experts : subjectif , Eh ben oui docteur ! je suis subjectif !

 

On dit que les hôpitaux publics manquent de personnel ? Je ne saurais répondre à cette question. Je ne l’ai pas constaté vraiment ; par contre j’ai constaté un grand désordre. Qui fait quoi ? C’est pas moi ! C’est lui, c’est elle, c’est « quand on aura le temps ». Combien de fois « On va vous l’apporter dans un moment » se muait en « Aujourd’hui peut-être, ou alors demain ».

Mais soyons sérieux. Influencé par la campagne électorale qui battait son plein, surtout de gens sérieux… j’ai divisé le personnel de l’hôpital en trois blocs (comme les démographes classant les votants) :

 

1 Le bloc des « humanistes »

2 Le bloc des « pose-toi là !»

3 Le bloc de « la dernière marche avant l’ehpad ».

 

1 – Le bloc des humanistes : il y a à l’hôpital des femmes, des hommes – plutôt en petit nombre – qui s’intéressent à vous et d’un coup d’œil perçoivent de quoi vous avez besoin à l’instant même. « Voulez-vous que je vous aide à vous relever ? » Bien sûr, d’autant plus que le lit d’hôpital a la particularité de vous faire glisser de haut en bas à longueur de journée. Ou cette petite phrase toute simple : « Avez-vous besoin de quelque chose ? » Et puis il y a – et j’y tiens – cette note d’humour qui change d’un coup de baguette magique l’atmosphère : ainsi cet antillais, aide-soignant, qui m’aidait à faire ma toilette (le seul sur 12 jours) avec qui j’ai plaisanté sur les vertus de tel ou tel rhum, avant qu’on en vienne à parler de nos enfants. Je parle donc ici de ces personnes qui vous voient comme une personne justement, comme un humain à l’hôpital. On ne peut pas être toujours en bonne santé ! Il y en a donc, des humanistes, mais pas au sommet de la hiérarchie. Enfin peut-être, mais comme je n’ai pas rencontré de représentants de cette catégorie sociale, je ne peux rien en dire.

 

2 Le bloc des « pose-toi là ». De loin le plus nombreux ! L’injonction s’adresse aussi bien à l’hospitalisé qu’aux objets. Mes couvertures ont le tort de glisser et de se retrouver en boule au pied du lit. Je n’ai pas la force nécessaire pour les attraper et me couvrir (je suis frileux). Je demande à un infirmier de m’aider. Crime de lèse-majesté ? « Vous ne pouvez pas le faire ? » la colère me monte au nez et je lui réponds « Vous n’avez jamais été malade dans votre vie ? ». Autre exemple : j’ai à côté de moi une carafe d’eau et un verre, pas toujours accessible. Mais enfin, si je peux attraper la carafe – un bon litre d’eau, donc au moins un kilo – je ne peux pas a) la soulever b) encore moins verser l’eau dans un verre. Je me suis déshydraté en quelques jours. Je ne parle pas du repas posé là sans ménagement. A moi de trouver la bonne position pour manger correctement.

 

3 La dernière marche avant l’Ehpad. Ce groupe comprend non seulement des membres du personnel, mais l’institution elle-même. Bon, passons sur la nourriture, sujet intarissable de plaisanterie. Quand comprendra-t-on qu’il ne suffit pas d’affubler le plat du jour d’un titre alléchant pour qu’il soit comestible, agréable à nos papilles ? J’ai vu passer un bœuf stroganoff qui ressemblait étrangement à la blanquette de veau d’avant-hier etc. Mais ce n’est pas d’abord cela la dernière marche vers l’Ehpad. C’est bien plus grave : c’est de considérer le malade, surnommé le patient, comme une chose, je ne sais pas : un mannequin ? qui a le droit de rester inerte, sans besoins, sans intérêts humains. Sans douleur ni plaisir ni envie. Est-ce nécessaire pour le bon fonctionnement de l’institution hospitalière ? Je ne veux pas franchir la dernière marche ! Mais c’est la plus hideuse.

 

Et ce qui nous amène à la question : quelle formation pour les soignants ? Que leur apprend-on ? A soigner ? Peut-être. A écouter ? Je ne pense pas. A voir ? Pas plus. A aimer leur métier ? Pas toutes ou tous. Et ce n’est pas aux soignant.e.s que l’on va le reprocher – exclusivement – Je le sais par mon expérience de patient de 81 ans et parce que j’ai connu d’autres expériences à l’opposé de ce que je viens de décrire.

Je conclue, étant le x millionième à répéter : l’hôpital public est malade ! malade d’inhumanité !

 


21/05/2022
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